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Plein gaz sur la biomasse

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la question de la production de biomasse et de son attribution se pose.

La place à octroyer à la biomasse agricole est au cœur d’un dilemme. Sa production devra augmenter pour contribuer à l’objectif de neutralité carbone, mais elle est dès à présent affectée par l’accélération du changement climatique.

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Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoit le passage d’environ 422 Mt d’émissions de gaz à effet de serre équivalent CO2 aujourd’hui à un minimum « incompressible » de 80 Mt équivalent CO2. Pour cela, deux leviers ont été identifiés : la réduction maximale des émissions et la compensation de celles restantes via leur captation par des puits de carbone.

La production d’énergie étant la première source d’émissions de gaz à effet de serre en France (68,1 % du total national avec 297 Mt CO2 en 2019, dont 43 % pour la production de chaleur), la transition énergétique fait partie des priorités de l’État.

Le Plan national intégré énergie climat (Pniec) a ainsi fixé à 41 % la part d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale brute en 2030. Soit 570 TWh d’origine renouvelable sur les 1 381 TWh dont le pays aura besoin. Pour cela, la SNBC préconise la consommation d’une électricité décarbonée et la mobilisation de la biomasse pour générer du combustible (électricité, chauffage), du biogaz (chauffage) et des biocarburants (transports).

La méthanisation, un levier nécessaire

Dans son rapport « Quelles biomasses pour la transition énergétique » sorti en septembre 2024, Solagro estime que le potentiel de ressources pour 2050 s’élève à 100 Mt de matière sèche (soit environ 340 TWh), dont 60 % générées par la biomasse agricole, 20 % par les arbres et 20 % par les déchets ou coproduits. La combustion et la méthanisation offrent les potentiels de production d’énergie les plus importants du fait d’un accès plus large à la biomasse pour la méthanisation et d’un rendement énergétique élevé pour la combustion.

« Le potentiel global chute à 43 Mt MS/an (soit 205 TWh) si la méthanisation n’est pas utilisée, précise Simon Métivier, chargé de projet bioénergie chez Solagro. C’est la seule filière de valorisation qui permet un retour au sol de la matière organique et des nutriments. Elle rend notamment possible, pour 2050, la valorisation d’une grande partie des résidus de cultures (20 Mt MS/an), des effluents d’élevage (7 Mt MS/an), des surplus d’herbes (11 Mt MS/an), mais aussi des cultures intermédiaires (20 Mt MS/an). »

Des besoins grandissants

En ce qui concerne la biomasse agricole spécifiquement, sa part disponible est actuellement de 265 Mt MS/an. Dans son rapport « Bouclage biomasse : enjeux et orientations » de juillet 2024, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) évalue la hausse de biomasse agricole possible d’ici 2030 à + 7,5 Mt MS/an. Ce chiffre s’obtient par la capacité à générer + 12 Mt MS/an grâce à de nouvelles ressources (haies et cultures intermédiaires), auquel il faut retirer 4,5 Mt MS/an en raison de l’artificialisation des terres et de la croissance limitée des arbres avec le changement climatique.

Du côté de la demande, les besoins pourraient bondir de 44 Mt MS/an d’ici 2030, dont 28 Mt MS/an uniquement pour les bioénergies. « À régime alimentaire inchangé, nous aurons donc un déficit de 20 Mt en 2030 », précise Emmanuelle Bour-Poitrinal, ingénieure générale des eaux et forêts et présidente du club des bioéconomistes.

Dans son exercice de scénarisation « Transition(s) 2050 », l’Ademe insiste sur « une modification des systèmes agricoles, avec le développement de pratiques agroécologiques qui s’accompagnent d’une généralisation des cultures intermédiaires, des haies et de l’agroforesterie » d’une part ; et « d’une évolution des régimes alimentaires de la population » d’autre part (davantage de protéines végétales).

Une nécessaire hiérarchisation des usages

Dans son rapport, Solagro estime que la quantité de Cive pourrait atteindre 40 Mt MS/an d’ici 2050, dont 20 Mt mobilisables pour l’énergie. À la demande du ministère en charge de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, l’Inrae a rédigé cette année un rapport sur les enjeux agronomiques, techniques et économiques d’une mobilisation élevée des différentes ressources de biomasse et de leur transformation énergétique. Les scientifiques alertent sur le fait que « l’incorporation de Cive dans les rotations peut avoir des conséquences sur la productivité des cultures principales et la disponibilité en eau ». D’après eux, le besoin accru de biomasse risque de « favoriser l’usage d’engrais et de produits phytosanitaires, voire d’eau d’irrigation sur des surfaces qui n’en consommaient pas ou peu auparavant ».

L’enjeu est donc de trouver la bonne fréquence et le volume d’exportation possible de résidus (cultures, intercultures) pour maintenir la richesse des sols et assurer la pérennité des exploitations. « Dans un contexte de forte volatilité des prix des engrais et de l’énergie, cela aura un impact sur la capacité d’investissement des industries et des exploitations », indique Frédérik Jobert, Secrétaire général adjoint à la planification écologique au service du Premier ministre.

Dans son résumé « Biomasse : enjeu stratégique de la transition écologique », l’Ademe précise qu’une « hiérarchisation des usages non alimentaires est nécessaire ». Le plan esquissé par le SGPE privilégie une mobilisation forte de biomasse pour la méthanisation, notamment pour l’industrie, et dans une moindre mesure pour les biocarburants. Pour les usages de trajets domestiques, la tendance est à l’électrification maximale, les biocarburants étant réservés aux transports lourds (avion, maritime) et le biométhane pour les besoins en chaleur haute température.

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